dimanche 27 février 2011

Domaine Clos Massotte, Pyrénées Orientales, Trouillas



Le vin murmure. Il conte ses secrets, ses confidences, ses incantations, ses formules magiques et épice le tout de poudre de perlimpinpin. Alors, des couleurs pleins les yeux, les paupières se scellent sur une goutte de pluie. Elles écoutent le reflet du monde dans la pénombre des perles alizarines.


Les vins du Clos Massotte m’accompagnent depuis que j’aime goûter le vin. J’ai découvert chaque cuvée avec le sentiment qu'elle s'offrait sans jeu de cache-cache. Elle était là, entière, dans sa complexité diaphane. J'ai composé mes premières alliances vins et chocolats sur le thème de son Grand Roussillon Ambré. 


Canigou
Crédit photo Clos Massotte

Depuis 2001, Pierre-Nicolas Massotte cultive sa vigne de 16 hectares et vinifie son vin à Trouillas, au sud-ouest de Perpignan en  plaine du Roussillon. Tout près des premiers contreforts des Aspres, dans les Pyrénées Orientales, il travaille dans le respect de la vigne et du vin selon des méthodes ancestrales transmises de génération en génération depuis 1868. 

Mode de culture et vinification
A la vigne
En cours de conversion bio, Pierre-Nicolas est inspiré par les principes de la biodynamie. Il a mis en place des méthodes de traitement naturel et trouve dans la garrigue environnante les remèdes préventifs qui aident la vigne à lutter contre les parasites et les maladies. Il exploite toutes les vertus des plantes  par différentes méthodes d'extraction : l'infusion, la décoction, la macération en plein air. Les 20 litres de solution obtenus sont dilués par dose homéopathique d'environ 0,5% et pulvérisés par épandage manuel. Les résidus végétaux, sont valorisés et restitués à la terre. 


"Le travail attentif de la terre"
Crédit photo Clos Massotte 

Pierre-Nicolas est patient. Il tisse avec ses vignes une relation sereine, intime et intuitive. Cette attention est présence. Comme il le dit, le travail de la terre est "attentif", et attentionné. En goûtant ses vins et en l'écoutant, je sens  le désir de privilégier l'expression du fruit sur l'expression du sol. La terre, Gaïa,  est porteuse, elle s'offre et donne ce qu'elle a de meilleur sur son terroir argilo-calcaire.




Les vendanges manuelles
Crédit photo Clos Massotte 
Lui, il murit ses vins denses et pleins. Il attend la pleine maturité des baies avant de vendanger et de fouler aux pieds le raisin dans le pressoir vertical. Le style du Clos Massotte est là : ses vins sont d'une concentration puissante obtenue par une lente maturation du fruit et de très petits rendements d'environ 18 hl / ha en 2010. 

A la cave, les macérations semi-carboniques sont longues, la vendange 2010 y est encore. Il laissera le temps à une cuvée qui n'a pas fini ses sucres. A cet instant, deux belles cuvées 2009 viennent de reprendre leur fermentation. Au Clos Massotte, le temps a le temps.  

Lors de ma visite au chai, j'ai goûté ses bruts de cuve. Prédire quelles seront les qualités futures du vin n'est  pas évident, c'est pourtant là l'intérêt. Il est précieux de goûter ces vins en train de se faire et d'échanger avec le vigneron, là, je capte une partie de leur essence. Ce sont des vins vivants et surprenants, des indociles joyeux


Millésime 2010. Il s'exprime avec chaleur et maturité. La bouche équilibrée persiste sur une amertume légère accompagnée de notes de torréfaction : café et cacao, pour la Syrah comme pour le Grenache. C'est une expression typique d'évolution pour ce style de vin.  
Syrah 2010, ............………………………………………………………..................
Vigne jeune. Macération semi-carbonique en cours. Pigeage tous les 4 mois. Sucre résiduel 10 gr / l.    
Le bouquet est déjà riche. Je suis imprégnée des douceurs que j'ai goûté récemment et le cacao, la crème de praline rose me font du gringue. La bouche est puissante, solaire, c'est la signature Massotte. Des tanins serrés portent une pétarade de figue, de grenade, de cerise, de pralin et d'épices. Déjà superbe d'évolution et de concentration.  J'aime son style dense et ardent.  

Grenache noir 2010, ............………………………………………………………....
Vieux grenache noir, vigne de 80 ans. Macération semi-carbonique en cours. Pigeage tous les 4 mois.
Couleur pourpre profond à reflet violacé. La bouche est ronde, elle exprime la maturité du fruit sur la grenade, le café en finale accompagnée d'une amertume légère.

Millésime 2009. Intense et Nonchalant 
Grenache, Carignan, Syrah 2009………………………………………………………
Reprise de fermentation très récente début février 2011. Assemblés avant la fin de fermentation à l'instinct. Sucre résiduel
Ce vin nonchalant a repris sa fermentation récemment. Sa palette olfactive m'a surprise par sa vitalité. A peine perlante, sa fraicheur hespéridée s'exprime par le pamplemousse, la mandarine et l'orange sanguine. La chaleur du millésime se retrouve dans la cerise à l'alcool puissant. La bouche est suave et ronde, encore douce.

Gaïa 2005, Côtes du Roussillon rouge……………………………………..........
Terre Généreuse. 40 % Syrah, 30 % Grenache, 30 % Carignan. Goûté en Octobre 2009. 8 à 11 € tarif public.
Sa concentration solaire, pourpre, lui donne une matière chromatique profonde. Le bouquet puissamment fruité exhale la cerise à plein nez, belle et fraiche sur un lit de balsamique. La bouche se serre en son milieu pour tisser cette trame typique du Clos Massotte. La matière s’étoffe de notes boisées, poivrées, épicées rappelant le zan. La longueur exprime l’opulence du fruit mûr baigné d’alcool.

Corail d’automne 2006, Côtes du Roussillon rouge……………………………
Syrah 60 %, Grenache noir 40 %. Longue fermentation. Élevé en fut pendant 1 an. Goûté en Décembre 2009. 10 à 15 € tarif public.
La chaleur et les épices piquent les fruits rouges, la cerise et la mûre. Ce vin, je l’aime avec un crumble d'agneau au thé noir de Chine, des pignons de pins, des pruneaux, des abricots, le tout saupoudré de parmesan ! Cet accord m’inspire l’art de l’accueil à la méditerranéenne, couleur, contraste, caractère, orientalisme et lasciveté.    

Corail d’automne 2008, Côtes du Roussillon rouge……………………………
Tiré de la barrique pour la dégustation. 60 % Syrah, 40 % grenache noir. En barrique de 5 à 10 vins depuis début 2010, ouillage tous les 4 mois. 10 à 15 € tarif public.
Camel et Grenat. Le nez timidement animal, respire. Très curieusement, minéralité et  fumée saillent et se dissipent sous un  éperon de cuir. La bouche est soyeuse tout de suite, équilibrée, puis sans surprise, la trame se resserre et se précise en son boisé épris de matière. Suivent le moka, la vanille discrète qui persiste sur le cuir noble. La finale s’annonce et picote. Se dissémine un afflux sanguin, en pulsations frémissantes des lèvres à la nuque. Le bouquet de fleurs, d’épices, de camphre et de sève de bourgeon de pin fini de pleurer en bouche. Le vin est prêt. J'ai envie de gémir. Émue, je bavarde.   





Perle et Pépin 2008, Côtes du Roussillon rouge…………………………………
Vin naturel issu des levures indigènes. Issus d’une Communion de Grenache, de Syrah, de Carignan et de beaucoup d’Amour.
8 à 11 € tarif public.


Eating Fruits from Sunah Choi on Vimeo. 


J’ai goûté  Perle et Pépin en avant-première à la Maison Rédionale de Vins  de Montpellier avec Pierre-Nicolas et mon amie de toujours. Son charme est son étiquette et son poème fait-main, à peine lisible sur le dégradé bleu perle. Perle et Pépin est un vin de Joie. Quand cela m’arrive, j’en garde l’empreinte dans le corps. J’ai croqué ce vin avec l’allégresse de l’enfance.

Sa bouche est souple et douceureuse, c'est un vin à téter. La framboise mûre et les baies de cassis crèvent, juteuses et suaves. Pourtant, sa trame tannique n'est pas alanguie, elle est même espiègle au cœur. Entre candeur et malice, il faut apprécier  ce vin pour ses nuances. Je sirote au clair de lune. A la lumière ardente il est riche et puissant, je sens la sève de pin. Je flaire un fumé discret et minéral, improbable expression du sol, que je devinais chez son alter ego élevé en barrique Corail d’automne 2008

Depuis son alcôve, le vin chuchote son babil originel. Un chant lointain s'élève en corolle et s'écrie à maturité : "Perle, c'est un Pépin !" Comme un sort semé au destin.    

vendredi 25 février 2011

Vendredis du Vin #33 / Voltige et Variation : les alliances rythmiques et sportives

Le chocolat rend généreux. Nous publions nos accords  sur les Vendredis du Vin #33 alors que nous sommes aux prises d'un potlatch infernal, enserrés dans l’engrenage hédoniste du don / contre don ! Alors allier le chocolat avec le vin est une manière de surenchérir ! Alliances contraste, harmonie, fusion du vin et du chocolat. Oui, ces deux là me travaillent au corps, l’un après l’autre, l’un contre l’autre, l’un avec l’autre.

Lorsque j’ai voulu vivre le monde sensible avec présence et sensualité, ils m’ont montré la substantielle matière du vivant. Je me suis laissée impressionnée, avec mes sens, par leurs qualités sensorielles, leur valence hédonique étourdie, j’ai le vertige quand c’est (très) bon.

J’aime réaliser des alliances vin et chocolat parce que… Je pourrais conclure ainsi, sans argument rationnel, parce que c’est bon (quand c’est bon). Mais mon esprit parfaitement analytique m’invite à développer, à creuser l’étiologie sensorielle des plaisirs vin et chocolat ! Lorsque je goûte du vin et du chocolat, je suis attentive à l’infime détail de la sensation. Je me concentre en ce siège sensoriel avec toute ma densité. Ensuite, l’alchimie avérée enchérit mon être, qui vacille. Réaliser des alliances, c’est être entremetteur acrobate. On imagine, on suppose, on tente, on expérimente, on jongle ; et sursaute.

Saut de Chat............…………………………………………………………………………
C’est un accord Chocolat noir et Vin blanc. Hum, je crains toujours que la température du vin entre 10 et 12 ° ralentisse le processus de fonte du chocolat, qui figé, grumèle. Je tente. Je choisi un Coteaux de l’Aubance, Sélection 2009 du Domaine Richou, un chenin en sélection de grains nobles issu des pentes humides du Val de Loire. Jaune paille, brillant et épais son bouquet est aussi riche que complexe : fleur d’accacia et seringat, citron confit, orange amère, miellat. Sa bouche s’équilibre de gras et d’une fine astringence. En bouche, le fruit opulent d'agrumes et  de pèches jaunes répond à la Cristalline, petite gourmandise d’amandes caramélisées et d’écorces d’oranges confites enrobées d’un noir extra bitter. C’est une alliance harmonie et élégance.

Attitude....... ..........………………………………………………………………….
Un défi m’a été lancé récemment : réaliser un accord de chocolat avec un élément de la cuisine japonaise ! Le contraste me laisse… rêveuse ! Je me souviens de cet accord classique sur le thème du thé vert Matcha* battu au fouet et son fondant de chocolat noir  70 % amande fait maison. Cela a été une expérience de simplicité, de contraste et d’équilibre. Une belle introduction aux principes fondamentaux de la cérémonie japonaise du thé : Harmonie, Respect, Pureté, Sérénité dans l’action.     
*couleur vert jade, sa palette aromatique  est végétale, puissante et monolithique, avec beaucoup d'amertume. Accompagné du fondant l’ensemble trouve son équilibre, la chaleur du thé fluidifie le crémeux du fondant et ses tanins nettoient les muqueuses du film gras très fin déposé par la gourmandise.

Saut à la Perche................................................................................
Pour les Vendredis du Vin #33, dont j’assure la présidence, il fallait coller au sujet,  sans s'engluer, avec un brin de fantaisie… J’ai eu envie de tenter un accord impromptu. Saké et Chocolat ! Je file à la Chocolaterie  Théobroma*, avec mon flacon de saké et Thierry, l'artisan chocolatier, me fait découvrir ses créations. Ça s’annonce riche : nous avons trois couvertures de chocolat et cinq ganaches.
* Artisan chocolatier, Thierry Papereux travaille avec finesse et équilibre les grandes origines de cacao.

Saké
Il a la couleur de l’eau, à bien observer on distingue à peine un reflet jaune paille. La matière a une viscosité délicate, cela parait plutôt aqueux. Le nez de ce vin de riz dégusté à température ambiante présente de l’acidité volatile, éthérée qui se dissipe à l’aération. Il y a de l’amande amère, un brin de vanille, de la coco, des notes de céréales et domine enfin la pomme, celle d’un vieux Champagne. L’ensemble est fruité et assez agréable. La bouche s’annonce puissante mais elle est plutôt fraiche, grasse, équilibrée. Le profil aromatique est simple mais riche : fidèle au nez, suivent le marc, la mirabelle, la prune, les fruits à l’alcool, l’eau de vie ! Ce saké est surprenant, il titre à 16 %, on peut le déguster comme un vin. Il se montre plus agréable encore au fil de son aération.

Chocolat
Nous commençons par les chocolats de couverture. Le Taïnori 64 %  de République Dominicaine, aux notes de fruits jaunes, accentue l’acidité du chocolat et crée un déséquilibre gustatif. Le Macaé 62 %, assemblage de Forastero du Brésil dont le fondant est rapide avec des notes de torréfaction prononcées, valorise le fruité du saké et disparaît par la même occasion. Tout s’enchaine très vite, on tente une Ganache du chocolatier : le Saint-Roch, enrobage de chocolat Caraïbe avec une typicité de fruits secs, garni de pulpe d’orange sanguine et de gingembre frais ! A cet instant l’équilibre se fait, le gingembre est boosté par le saké, l’ensemble monte en puissance aromatique, le chocolat fond agréablement. La longueur persiste, insiste, sur les épices et les fruits à l’alcool. L’accord est ardent. Satisfaits, nous décidons d’aller plus loin...

Soubresaut...……………………………………………………………………
C’est un Palais lisse saupoudré d’Or. C’est délicat. Je ne lutte pas contre ma nature sauvage, je m’assagie et ne croque pas. Nous coupons délicatement le palais en deux qui laisse apparaître des strates élémentaires et géologiques clairement différenciées. C’est une assise moelleuse de Pain d’épices. C’est un lit de Foie Gras absolument lisse. C’est un enrobage d’Araguani, assemblage de Criollo fins d’Amérique du sud, salé, épicé à la cardamome et à la cannelle, qui scelle l’ensemble.

Au premier contact, ma lèvre supérieure épouse la surface lisse et croquante de l’enrobage, ma lèvre inférieure rebondie sur le moelleux du pain d’épice. Le foie gras fond le premier, velouté et fluide. Il humidifie ma bouche, le pain d’épice devient moite et se désagrège. En fondant, le chocolat lie l’ensemble.

Je goûte une gorgée de saké alors même que j’ai la bouche pleine, mais c’était en fait bien peu, car ce qui se produit ensuite n’a pas de sensation égale.
Sur ma chaise, face à la fenêtre, j’observe l’ensemble. Seule. La lumière arrose l’alliance. Je goute encore. C’est là. Je voudrais vous en dire plus et mon flot de détails, de mots, de syntagmes, néo-sémantèmes et entourloupes pourrait ne jamais se tarir. A dire autant, je pourrais passer à côté… de l’émotion.
Le Palais Or Foie Gras sur Pain d’épice prend tout son relief. Le solvant puissant qu’est l’alcool précipite la fonte fluide et soyeuse. Les épices se montrent une à une. Le rugissement primitif et animal du foie gras tient tête au cacao puissant, le saké répond, arbitre et rythme la déliquescence. C’est tout le sud ouest qui s’insurge.

Galipette.................................................................................
Je bondi de ma chaise, le plexus sens dessus-dessous. J’ai rendez-vous à Lyon pour une soirée chocolat. Mon prochain accord pourrait bien être un vin blanc liquoreux de la Loire, accompagné d'un Palais Or….